
Il y a 922 ans exactement, le 15 juillet 1099, s’opérait au Levant un bouleversement historique. Depuis 614, Jérusalem, ville sainte de nombre de religions, était passée entre les mains successives des Turcs et des Arabes d’obédience musulmane. Entre phases de tolérance et de persécution, le christianisme était rétrocédé au second plan, laissant place alors à la nouvelle religion qu’était l’Islam. Mais en 1095, les seigneurs d’Occident, exaltés par le discours du pape Urbain II sur le sort des chrétiens d’Orient et sur la nécessité de les aider face au joug Seldjoukide, décident de s’unir afin d’entreprendre ce qui sera appelée a posteriori la Première Croisade. Ce qui n’était au départ qu’une aide militaire à l’Empire Romain d’Orient, alors en première ligne dans la lutte contre les Turcs, se solda par une reconfiguration inédite des territoires du Proche-Orient.
“A tous ceux qui y partiront et mourront en route, que ce soit sur terre ou sur mer, ou qui perdront la vie en combattant les païens, la rémission de leurs péchés sera accordée” [1]. Le 27 novembre 1095, alors que se tient le Concile de Clermont qui avait pour but premier de résoudre les problèmes matrimoniaux du roi de France Philippe Ier, le pape Urbain II profite de la présence de 310 évêques et abbés pour lancer un discours qui va faire date dans l’histoire. Conscient de la menace turque grandissante qui pèse sur l’Empire Romain d’Orient, il en appelle à l’Occident pour aider leurs coreligionnaires grecs. En effet, après la défaite des Byzantins à Manzikert en 1071, les puissants Seldjoukides règnent en maître sur l’Anatolie, la Perse et une partie du Levant. Musulmans zélés, ces derniers ont de plus bloqué l’accès à Jérusalem pour les pèlerins chrétiens et mènent une politique de persécution à l’encontre des non-musulmans présents dans la ville sainte. Cet appel du pape touche très largement son auditoire, et se répand rapidement dans toute l’Europe chrétienne auprès de l’ensemble des couches populaires.
La Première Croisade débute l’année suivante. Nombre de seigneurs issus des contrés germaniques, du royaume de France ou encore de Sicile tels que Baudouin de Boulogne et son frère Godefroy de Bouillon, Hugues de Vermandois ou encore Raymond de Saint-Gilles en tête, s’organisent afin d’entreprendre le voyage jusqu’à Constantinople. L’empereur byzantin Alexis Ier Comnène conclut un pacte avec les croisés ; après avoir repoussé les Turcs, ces derniers devront rendre leurs terres légitimes à Byzance. Les troupes chrétiennes repoussent rapidement les musulmans hors de la façade ouest de l’Anatolie après la prise de Nicée. Avec les conquêtes des villes d’Adana, de Césarée et de Tarse, la Cilicie est rendue aux Arméniens. Victorieux à Edesse, Baudouin de Boulogne crée le premier État latin d’Orient, le Comté d’Edesse, en 1098.

La progression des croisés les mène à Antioche. Le siège de la ville débute le 21 octobre et va durer sept longs mois. Bien qu’essuyant la disette et les sorties répétées des troupes seldjoukides, les croisés réussissent finalement à prendre la ville le 2 juin 1098. L’atabeg de Mossoul Kerbogha, fort d’une armée de 30 000 hommes, tente de reprendre la ville aux Occidentaux, sans succès. Exaltés après avoir découvert ce qu’ils pensent être la sainte lance [2], les croisés sortent de la ville et marchent sur les assiégeants qui ont tôt fait de fuir. Dans le même temps, la rupture avec l’Empire Romain d’Orient est consommée ; en effet, alors que Bohémont de Tarente et ses troupes assiégées attendaient le renfort des Byzantins, Alexis Ier fait demi-tour en apprenant que les forces de Kerbogha étaient supérieures aux siennes. Considéré comme l’ultime acte de trahison de la part des Grecs, les croisés se libèrent de leurs engagements envers l’Empire. La Principauté d’Antioche est fondée le 14 juin, avec Bohémont à sa tête.
Le Nord du Levant sécurisé, les troupes chrétiennes se tournent enfin vers leur objectif principal : Jérusalem. En août 1098, la ville sainte est reconquise par la dynastie égyptienne des Fatimides [3]. Contrairement aux Turcs, ces derniers ne persécutent pas les pèlerins, mais les croisés n’en ont que faire ; leur but est clair, la cité du Christ doit être restituée à ce dernier. Le siège débute le 7 juin. Les forces en présence sont largement diminuées ; partis d’Europe avec une centaine de milliers d’hommes, les assiégeants ne sont guère plus de 12 000 aux portes de Jérusalem. Ils peuvent néanmoins compter sur le ravitaillement en vivres et en bois par la mer des Génois. Après plusieurs tentatives d’assaut infructueuses, les croisés mettent sur le pied des armes de siège (catapultes, tours). Dans la nuit du 14 au 15 juillet, l’assaut final est lancé. Godefroy de Bouillon est le premier à atteindre les murs. Les gardes musulmans, apeurés, ouvrent les portes aux troupes de Raymond de Saint-Gilles. Rapidement mis en déroute, les soldats fatimides et les civils païens vont passer sous le fil de l’épée des chrétiens.
La ville sainte reconquise, la Première Croisade s’achève avec la fondation du royaume latin de Jérusalem. Godefroy de Bouillon est désigné souverain en qualité d’avoué du Saint-Sépulcre, ce dernier ayant refusé de se faire proclamer roi sur les terres du Christ. L’État chrétien va rester en place pendant environ deux siècles, jusqu’à la prise de Saint-Jean-d’Acre en 1291 par le sultanat mamelouk.
Notes :
[1] Extrait du discours de Urbain II lors du Concile de Clermont, retranscrit par Foucher de Chartres, Historia Hierosolymitana.
[2] Lance dont s’est servit le légionnaire Longin pour percer le flanc du Christ afin d’abréger ses souffrances sur la croix.
[3] Califat islamique chiite qui prospéra en Égypte et au Machrek de 909 jusqu’à son annexion en 1171 par Saladin au califat de Bagdad.
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